Wildcat 100, Été 2016
Dès le début de l'année, suite à l'annonce du projet de réforme du code du travail (dite loi El Khomri ou « loi travail »), dont la présentation en conseil des ministres est prévue pour le 9 mars, apparaissent les premières manifestations appelées par les syndicats. Si la CFDT (suivie par la CFTC, l'UNSA et la CFE-CGC, qui modifiera sa position par la suite) se déclare satisfaite par les premières petites modifications rapidement introduites dans le projet, l'intersyndicale CGT-FO-Solidaires-FSU-UNEF-Fidl-UNL affiche son opposition. Elle sera rejointe à maintes occasions par l'UEC et les diverses composantes du Front de gauche, plusieurs collectifs étudiants et lycéens, dont le Mili, mais aussi le DAL, la LDH (notamment contre les violences policières et l'état d'urgence), le Gisti et les associations d'aide aux migrants...
Les dates de ces manifestations se croisent avec celles des manifs de solidarité avec les migrants et contre l'état d'urgence. Elles font suite à la mobilisation contre la COP 21, que l’État avait réussi à contrôler dans les derniers mois de 2015, ce qui avait laissé le sentiment que l'état d'urgence servait plus à étouffer le mouvement écologiste qu'à protéger la population du danger terroriste.1 On a donc l'impression d'emblée que la mobilisation contre la loi El Khomri s'inscrit dans un climat social déjà en voie de réchauffement.
Les manifestations vont s'intensifier à l'approche de la présentation de la loi devant le Parlement : 9 janvier (à la gare du Nord), 11 janvier, 26 janvier (fonction publique), 7 février, 4 mars (à la gare du Nord contre la destruction du bidonville de Calais), 6 mars (à Belleville), 9 mars, 10 mars (retraités), 12 mars (au Luxembourg contre l'état d’urgence), 24 mars, 31 mars, 5 avril, 9 avril, 14 avril (manif sauvage nocturne suivie d’incidents), 28 avril et grève des contrôleurs aériens, 1er mai, 2 mai (résistance à l’évacuation et la dispersion du campement de 1600 migrants à Stalingrad), 3 mai (étudiants), 4 mai (résistance à l’évacuation du lycée Jean-Jaurès occupé par 277 migrants, 10 mai (cheminots), 12 mai, 18 mai (manif du syndicat de police Alliance et contre-manif du collectif UNPA), 17, 19 et 26 mai. Le 14 juin, une manifestation nationale où la police intervient de façon violente et préméditée permet au gouvernement de prendre prétexte de la violence des "casseurs" pour éviter de voir les centaines de milliers de personnes descendues dans la rue – avec la complicité de médias serviles. Suivent une autre manifestation le 23 juin – d'abord interdite puis autorisée, mais très encadrée et sous haute surveillance policière, et une dernière le 28 juin, qui devrait marquer l'enterrement du mouvement. A cette série il faut ajouter plusieurs manifestations spontanées, parfois nocturnes, dans différents quartiers de Paris, dont la presse n'a pas ou peu parlé.
Le 31 mars, après la manifestation se produit un événement imprévu : à la Bourse du travail où le film Merci patron est projeté, un groupe de manifestants, mené par François Ruffin, l'auteur du film et l'éditeur du journal Fakir, se propose de rester sur la place de la République voisine pour prolonger le débat : « Nuit debout » est né. Observé du point de vue de ses capacités à mobiliser l'ensemble du corps social, ce mouvement apparaît bien limité. Mais observé du point de vue de ses dynamiques internes, il en ressort un tableau assez différent.
● Il se distingue d'autres « mouvements des places » du fait, d'abord, des circonstances de sa naissance, directement liée au mouvement en cours contre la loi travail. A l'origine, c'est l'affaire de quelques dizaines de jeunes, dont une bonne partie semblent avoir fait leurs armes dans les mobilisations « citoyennistes » des dernières années (mouvement des désobéissants, Action Climat autour de la COP21), qui décident de poursuivre l'expérience de la première nuit en se donnant les moyens de faire exister ce rassemblement tous les soirs. Et qui vont mettre en œuvre leurs méthodes et défendre leurs valeurs.
Ces méthodes semblent assez rodées, héritage en grande partie des mouvements altermondialistes. Ce qui va maintenir une certaine dichotomie entre « passants » (écouteurs passifs ou parleurs) et organisateurs, toujours sur le pied de guerre. Les commissions "structurelles" qui se constituent dès le début (accueil, logistique, sénénité, infirmerie, cantine...) et semblent avec le temps reproduire la spécialisation des tâches entre ceux qui en font partie et ceux qui recourent à leurs services, accuseront vers la fin juin une certaine fatigue qui pesera sur le sort du mouvement.
Dans le débat, certains principes s'imposent d'emblée, qui sont eux aussi ceux de cette génération :
– La parole doit être libre et ouverte à tous, de façon égalitaire. Cela se traduit concrètement par l'organisation d'une assemblée faite de prises de parole successives, sans hiérarchie ni structuration, d'où une impression persistante de flottement et par moments de grand défouloir.
– Les groupes politiques constitués n'ont pas la parole en tant que tels, les « encartés » peuvent s'exprimer, mais en tant que simples citoyens. Toutefois, une évolution se fait jour au fil des semaines :
– dès la deuxième semaine, des commissions destinées à permettre le débat et la prise d'initiatives se constituent, mais en reproduisant la traditionnelle segmentation des questionnements et revendications (écologie, féminisme, antispécisme, anticolonialisme, éducation populaire...), avec en leur sein un poids significatif de militants des traditionnels regroupements occupant déjà le terrain sur ces questions ;
– rapidement, certaines de ces commissions se mettent à organiser des débats thématiques en marge de l'assemblée (dite « AG »). Ces débats drainent de plus en plus de monde, s'approfondissent avec le temps, et prennent peu à peu le pas sur l'AG, qui se clairsème.
– au bout d'un mois, des tentatives se font jour d'amener l'AG, par un processus compliqué de vote en plusieurs étapes, à donner une expression politique commune au mouvement. Cette recherche très laborieuse (et finalement inaboutie) traduit une volonté très partagée de réussir à pratiquer une forme de démocratie directe, mais qui porte essentiellement sur des questions de forme, indépendamment de tout contenu. Le mandatement, sur un contenu précis justement, reste une option majoritairement refusée. En revanche, l'appel en faveur d'une nouvelle Constituante trouve un certain écho sur la place, ce qui confirme que la démocratie est perçue avant tout comme une question de méthode, et non comme le produit d'un mouvement de lutte collective.
● Le lien originel avec la lutte contre la loi El Khomri maintient cependant une relation forte avec les luttes du monde du travail :
Le thème de la « grève générale » devient un des thèmes forts dans les débats, et fait vite l'objet d'une commission spécifique, qui draine des militants syndicalistes de base décidés à jouer la carte des liens inter-secteurs pour contraindre les bureaucraties syndicales à appeler à une grève générale reconductible. La pression de ces syndicalistes de base s'était déjà traduite par le relais de la pétition de Caroline de Haas (1,3 million de signatures), puis par le lancement le 22 mars de l'appel « On bloque tout » ; elle s'est ensuite fait sentir par de vifs débats au congrès de la CGT de la mi-avril, qui n'a pourtant débouché sur aucun autre engagement que de nouvelles journées d'action. La présence de ces militants syndicaux a aussi permis l'ouverture de la Bourse du travail (sous la couverture de l'UD CGT de Paris) à des réunions de groupes d'action, à des meetings contre la répression ou à des rencontres entre syndicalistes, salariés, manifestants et « nuit-deboutites ».
La commission a elle-même réussi, à la suite de la manifestation du 28 avril, à organiser une AG sur la place centrée sur le thème de la grève générale, qui a drainé beaucoup de monde et où se sont exprimés à la fois des syndicalistes de base de secteurs en lutte (taxis, cheminots, postes), deux membres de deux CNT – tous poussant à un appel à la grève reconductible – et les secrétaires généraux des confédérations CGT et SUD – jouant les tribuns sans prendre d'engagements concrets. On voit ainsi se reproduire la logique de la mobilisation défaite de 2010, à cette différence près que cela se produit sur la place et non plus dans les salles closes des Bourses du travail. Le volontarisme militant continue à se heurter non seulement à l'inertie des bureaucraties syndicales – qui ne conçoivent les mobilisations que comme un appoint dans un processus de négociation devant se jouer dans le cadre politique institué – mais aussi à la passivité de la grande masse des salariés, enfermés dans leurs entreprises et qu'aucune présence syndicale active ne cherche à mobiliser sur la base de leurs propres difficultés et raisons de s'opposer au pouvoir patronal.
Le thème de la convergence des luttes est d'emblée très présent dans les discours, et fait lui aussi l'objet d'une commission spécifique. Mais plus qu'une convergence dans les faits susceptible véritablement de faire évoluer le rapport de forces, il y a une forte tension unitaire, une envie de donner une aide concrète à ceux qui sont en lutte, une idéologie de la convergence en somme, qui par moments réussit à se concrétiser. Quelques exemples: l'aide (réciproque) apportée aux intermittents du spectacle dans plusieurs de leurs actions, notamment lors de l'occupation de l’Odéon et de la Comédie-Française ; la jonction avec la manifestation de cheminots à la gare Saint-Lazare en avril ; le blocage physique pendant quelques heures de McDonald's touchés par des grèves ; la présence physique de « nuitdeboutistes » en solidarité avec les migrants lors de leurs évacuations par la police; puis, quand les grèves s'amplifient, le soutien, parfois massif, aux piquets de grève, notamment, à Paris, dans les usines de traitement des déchets et, en province, dans les raffineries.
L'idée, largement agitée lors du mouvement de 2010 contre la réforme des retraites, de « blocage des flux », supposé pouvoir, dans un contexte de précarisation croissante du salariat, se substituer à la grève générale pour bloquer l'économie, revient couramment dans les débats, mais sans arriver à dépasser vraiment le stade de l'idée agitatoire. En mai, les deux tentatives de blocage des camions du port fluvial de Gennevilliers sont rapidement neutralisées par les forces de l’ordre, et le blocage d’un grand magasin en banlieue pendant quelques heures a eu des effets forcément limités, faute de relais chez les travailleurs concernés. Par la suite, la pratique des blocages s'est amplifiée en lien avec les grèves en cours – sur des routes, des ponts, aux sorties de ports et de raffineries – mais l'intervention rapide de la police en a réduit l'impact économique à peu de chose. Leur importance réside surtout dans le fait qu'elles ont été des occasions de regroupement transversal et d'action commune fortement galvanisatrice. Dès la deuxième semaine, on a vu des syndicalistes de groupes professionnels mobilisés venir à Nuit debout organiser des débats sur les problèmes spécifiques de leurs secteurs (des militants de SUD Santé-social pour « Hôpitaux debout », le « groupe des 37 » pour « Psychiatrie debout »). Mais ces initiatives n’ont pas réussi à durer plus de quelques semaines – sans doute parce que la conjonction recherchée a eu du mal à porter ses fruits dans un cadre qui par moments ressemblait plus à un terrain de foire qu'à un lieu de débat. Les enseignants, pourtant toujours en lutte, pour certains, contre la réforme du collège, n’ont participé qu'individuellement, notamment dans la commission éducation. Pas non plus de débats spécifiques sur la condition étudiante. Les coordinations lycéenne et étudiante se sont manifestes parfois en AG mais s'organisaient ailleurs que sur la place.
● La lutte contre l'état d'urgence s’est parfois confondue avec la lutte contre les violences policières, qui ont commencé avec la mobilisation lycéenne et se sont sérieusement aggravées avec les manifestations des 28 avril et 1er mai. Il semble en effet qu'à partir de la fin avril, le pouvoir ait cessé de tabler sur l'épuisement de Nuit debout et cherché dès lors surtout à dissuader de manifester, dans la crainte de la jonction entre jeunes « nuit-deboutistes » et salariés plus âgés permise par ces manifs. Sur la place de la République, les tracasseries policières sont devenues quotidiennes: après avoir imposé le démontage des installations durant la deuxième partie de la nuit (officiellement pour permettre le nettoyage de la place), l’autorité municipale a interdit d'y consommer des boissons (les premiers jours, c'était la police qui encourageait les vendeurs à la sauvette à occuper la place), d'y faire des cortèges, d’user de sonos après minuit, puis après 22 heures, ce qui a créé de multiples occasions de contrôle, de fouille sur les voies d'accès et le métro et le harcèlement de ceux qui se rendaient sur la place.
Les moments d'affrontement physique avec les forces de police, récurrents lors de toutes les manifestations contre la loi travail, mais aussi recherchés certaines fins de nuit par de petits groupes de « violents » assumés, a fait de la question de la violence un leitmotiv des AG et des débats. La difficile contradiction entre la réprobation morale de la violence, majoritaire chez les jeunes de ce milieu social, et la volonté de non-désolidarisation de ce qui était perçu comme une des multiples expressions du mouvement a fait l'objet de débats récurrents. L'inconsistance politique de cette forme de « radicalisme », qui n’a fait en outre qu'alimenter le lynchage médiatique de l'ensemble du mouvement, semble tout de même avoir été perçue par certains, mais très peu discutée publiquement.
La solidarité face à la répression (arrestations massives en fin de manif ou lors d'actions lycéennes) a été au départ assumée avec un certain savoir-faire, hérité des combats altermondialistes et écologistes : présence permanente d'avocats sur la place, mobilisation d'une legal team dans les manifs, meetings antirépression... Mais, par la suite, ces initiatives semblent n’avoir pas suffisamment résisté pour réussir à faire face à la multiplication du nombre d’arrestations et d’inculpations.
A noter également que la peur du terrorisme tant instrumentalisée par le pouvoir ne semble avoir occupé aucune place dans les esprits de la place, au point que l'état d'urgence était perçu essentiellement comme un état d'exception juridique.
Saluons enfin l'opiniâtreté des nuit-deboutistes : malgré les intempéries, malgré les tracasseries policières, malgré les tensions suscitées par les épisodes de violence en fin de nuit, malgré toutes les dépenses d'énergie qu'exige quotidiennement la « logistique », ils ont continué, pendant trois mois et demi, convaincus de l'importance de ce qu'ils contribuaient à faire vivre.
Il faut d'abord souligner l’importance en soi de l'occupation de cette grande place centrale parisienne, consacrée à la réflexion politique et à l'échange. Pas seulement parce que Paris manque cruellement de lieux indépendants de rencontre et discussion.2 L'ouverture sur la ville, qui, en permettant à quiconque de venir prendre part aux discussions en AG ou en commissions, en a fait une véritable agora ; la liberté d'y organiser des débats (même si l'inscription en commissions permet d'être relayé dans les agendas et de disposer de sonos)... tout cela a contribué à faire de Nuit debout un lieu politique, au plein sens du terme.
Et c'est un fait que cette initiative correspondait à un besoin. Dans une société fortement atomisée, dans une ville de plus en plus colonisée par le tourisme, le spectacle, la « fête », dans un monde où l'expression publique est confisquée par des médias omniprésents, le besoin de se faire écouter et d'écouter, mais aussi d'échanger et réfléchir ensemble est grand. C'est bien ce besoin qu’a révélé le succès inattendu de Nuit debout. Et qu’a confirmé la durée exceptionnelle de cette dynamique, qui a mûri et s'est structurée, démentant tous les pronostics d'épuisement rapide.
L'initiative de surcroît s'est très vite élargie, d'abord grâce au rôle d'amplification des relais Internet dont elle s'est dotée (le site, Radio debout, Télé debout), d'autre part par son essaimage spontané : des « Nuit debout » sont apparues dans bon nombre d'autres villes en France (avec quelques relais à l'étranger), mais aussi dans certains quartiers de Paris et quelques villes de banlieue, où le phénomène de proximité leur a permis d'articuler la mobilisation avec des questions plus locales et une dimension plus conviviale.
Les médias et les sceptiques ont eu tôt fait de mettre l'accent sur la composition sociale restreinte des fréquentateurs de Nuit debout : ils seraient exclusivement jeunes, blancs, parisiens et des classes moyennes précarisées – constat qu'une étude sociologique a sérieusement nuancé.3 Certes, les « quartiers » des banlieues ne pas venus sur la place. Il n'empêche : ces rassemblements et débats quotidiens ont joué pour les plus jeunes un vrai rôle de première socialisation politique – rôle qu'avaient cessé de jouer depuis quelque temps les luttes étudiantes et lycéennes, devenues faibles ou inexistantes.
La naïveté politique de la jeune génération engagée dans le mouvement n'est d'ailleurs pas en soi une faiblesse, quoi qu'en disent les groupes d'ultragauche ou les post-autonomes. Elle la pousse en effet à prendre le pouvoir au pied de la lettre, prenant ainsi la mesure de son hypocrisie. Il y a là un facteur de maturation politique à ne pas sous-estimer. Ceux qui parlent de récupération politicienne n'ont pas compris que, pour que celle-ci puisse opérer, il faut que le mouvement perde sa capacité propulsive et se résigne à l'hégémonie de la culture politique dominante.
Car Nuit debout a joué aussi un rôle non négligeable dans le mouvement de lutte. Cela grâce au travail des commissions « grève générale » et « convergence des luttes », qui ont réfléchi au quotidien aux modalités d'action et relayé les différentes initiatives ; grâce aussi à l'organisation de débats en AG recentrés, au soir des journées de mobilisation, sur les questions qui se posaient à la lutte ; mais surtout grâce au fait que Nuit debout a assuré une forme de continuité au mouvement d'ensemble, en faisant en quelque sorte tapis entre les différentes manifestations ponctuant le calendrier syndical – chose que le mouvement contre la réforme des retraites de 2010 n'avait pas su produire. Même si, depuis fin mai, le mauvais temps aidant, un certain épuisement est devenu visible.
Malgré toutes ses insuffisances, ce mouvement est donc resté une épine importante dans le pied du gouvernement, qui n'a pas encore trouvé le moyen de s'en débarrasser sans trop de casse. Le traitement systématiquement hostile et méprisant des grands médias traduit d'ailleurs bien en quoi ces prises de parole sauvages et incontrôlables dérangent le pouvoir et ceux qui ont pour mission de produire et diffuser son discours. Il est clair que la présence d'un lieu où la politique s'élabore en dehors de tout contrôle et de tout cadre institué lui fait peur. D'autant que les « professionnels » de l'action politique qui pourraient, comme en Espagne, orienter le mouvement vers un simple renouvellement de personnel dans les structures en place n'y ont pas (encore?) trouvé place4.
La loi travail passe devant le Parlement dans la première moitié du mois de mars. Elle est adoptée le 12 mai par recours à l'article 49-3. La motion de censure de la droite est repoussée et la gauche dissidente (écologistes, PC, PG et frondeurs PS), avec 56 signatures, échoue à trouver le nombre suffisant de députés (58) lui permettant de présenter sa propre motion. Le PS commence à se fissurer, et le recours au 49-3 n'a fait qu’exaspérer les opposants. Résultat : la mobilisation s'élargit et gagne certaines entreprises stratégiques, le gouvernement apparaît piégé par sa propre intransigeance.5
Vers la mi-mai, le mouvement prend une tournure plus déterminée. Des blocages de chauffeurs routiers apparaissent près des ports et des raffineries, comme un coup de semonce, mais ne durent que le temps que le gouvernement promette la « sanctuarisation » de leurs heures supplémentaires – qui représentent jusqu'à la moitié de leur salaire –, les faisant ainsi échapper aux conditions générales prévues par la loi travail.
Entre-temps la grève gagne plusieurs ports et raffineries de pétrole, qui se retrouvent bloqués. Le 24 mai, la police attaque le piquet de dockers qui bloque le dépôt de Fos-sur-Mer et promet de débloquer les autres raffineries et dépôts de carburant. Pendant trois semaines, les huit raffineries ont toutes fait grève et arrêté la production. Les interventions de la police visant à lever les blocages n’ont d’autre effet que de renforcer la détermination des grévistes, qui ne font plus sortir une seule goutte d’essence, en particulier dans l'Ouest. Le gouvernement réussit toutefois à éviter que la pénurie de carburant touche massivement la région parisienne, sur laquelle se concentre l'attention des médias. Les grèves, minoritaires au début, deviennent vite majoritaires dans les raffineries. Mais là encore, pas pour longtemps : elles s'épuisent l'une après l'autre, et les stations d'essence sont vite réapprovisionnées.
A la SNCF, la CGT appelle à la grève reconductible tous les mercredis et jeudis à partir du 18 mai. Sud-Rail voudrait durcir le mouvement et appelle à la grève reconductible jusqu'au 11 juillet, date de la fin de l'Euro de football, mais, seul, il ne fait pas le poids. Le 18, la direction affiche un taux de grévistes de 15%, manifestement faux puisque entre un tiers et la moitié des trains ne circulent pas. Mais à la SNCF les échéances de la lutte contre la loi travail se croisent avec celles de la lutte contre la réforme du rail, où l’UNSA et la CFDT appellent aussi à l’action sous peine de se couper de leur base, plus corporatiste. L'unité ne durera pas longtemps: dès le deuxième jour de grève, ces deux confédérations invitent leurs membres à reprendre le travail. La première semaine de juin s’annonce donc périlleuse, même si l’intersyndicale n’avait pas prévu de manifestation de rue. Les syndicats ont choisi de faire peser la menace d’une grève reconductible à l’occasion de l’Euro de foot plutôt que de coordonner un mouvement de grève large et bien déployé à un moment où plusieurs autres catégories sont entrées dans la danse. L'accord d'entreprise et de branche est approuvé par la CFDT et l'UNSA (qui représentent 30% des voix aux élections) et repoussé par la CGT et SUD (qui en cumulent 50 %). Ensemble, ces dernières pourraient opposer leur veto, mais le "sens des responsabilités" de la CGT prévaut : la fédération CGT des cheminots refuse de faire jouer son droit de veto et l'accord devient effectif.
La CGT appelle aussi à la grève illimitée à la RATP à partir de jeudi 2 juin, mais avec des effets limités – les blocages des dépôts d'autobus, qui sont plus l’œuvre des commissions de Nuit debout que des grévistes, sont démantelés le jour même. A la même date on fait grève dans les ports, tandis que les aéroports et l’aviation civile sont appelés à s’y mettre entre vendredi 3 et dimanche 5 juin. Les pilotes de ligne menacent de s'y mettre aussi une fois le championnat européen de football commencé, après la mi-juin, mais, isolés désormais, ils renoncent.
Le secteur de l’énergie a aussi rejoint le mouvement et plusieurs centrales nucléaires sont entrées en grève, imposant une baisse de puissance qui oblige EDF à importer de l’électricité. Les pénuries ne se font pas sentir au niveau du consommateur, comme c'est le cas pour l'essence, mais la valeur symbolique d'une telle action reste très forte. Là encore, au bout de deux semaines, les grévistes reprennent le travail.
Il faut dire que la grève touche plusieurs secteurs où la CGT est solidement implantée. Pour certains, l'enjeu est principalement la lutte contre la loi travail. C'est le cas pour les ports, la chimie et les secteurs de l'énergie, mais aussi pour les services de collecte des ordures (la mairie de Paris, par exemple, sera amenée à faire appel à des entreprises privées pour le ramassage) et surtout les usines d'incinération, bloquées par les grévistes et leurs soutiens jusqu'à intervention policière (à Bordeaux, la grève durera jusqu'à fin juin). D'autres catégories ont des revendications spécifiques et profitent du climat de lutte généralisée pour s'y mettre. Le gouvernement cherche à les détacher du mouvement d'ensemble en répondant à certaines de ces revendications, parfois même en prenant les devants, et toujours en faisant des promesses à droite et à gauche. On a vu ce qu'il en était chez les routiers et les cheminots. La fonction publique fait aussi partie des professions que le gouvernement réussit à détacher du mouvement en accordant quelques largesses : 1,2 % d'augmentation du point d'indice des salaires. Avec, pour les instituteurs, une « prime de suivi et d’accompagnement » (soit 800 euros de plus sur l’année) et, pour tous les professeurs du second degré, un saut automatique de catégorie).
L'extension et la radicalisation du mouvement a toutefois permis à la CGT de reprendre en quelque sorte le contrôle de la situation. Elle se trouve désormais en position de montrer que, sans elle, pas de mouvement capable de s’imposer au gouvernement. Dans les entreprises, aucune forme de coordination autonome n'a vu le jour (à l'exception, politiquement significative mais concrètement sans grand impact, des gares parisiennes), et Nuit Debout ne fait pas le poids. Si le gouvernement accepte la négociation, tout est en place pour que la manifestation du 14 juin devienne une manif d’enterrement du mouvement.
Mais le gouvernement se raidit. Au lieu d'offrir à la CGT une porte de sortie honorable, il lui offre l'occasion, en s'entêtant à défendre à tout crin son projet de loi, de montrer à sa base qu'elle est capable d'obtenir un résultat. Quand le projet passe en commission, au Sénat, la droite en profite pour durcir le texte originel : la semaine de 35 heures saute et, en l’absence d'accord d'entreprise ou de branche, les salariés pourraient avoir à travailler 39 heures à la demande du patron, 48 heures en cas de besoin et jusqu'à 60 heures dans des cas exceptionnels; dans les PME, la possibilité est introduite de faire signer des accords individuels forfaitaires; un plafond est réintroduit pour les indemnités que peuvent fixer les prud'hommes en cas de licenciement abusif (15 mois de salaire); les apprentis peuvent commencer à 14 ans au lieu de 16 actuellement... Du coup, le gouvernement présentera, le 8 juin, sa propre version de la loi comme une version "de gauche", dans un meeting qui sera perçu comme une provocation et contesté par quelques milliers de manifestants. Le 28 juin la loi modifiée est adoptée au Sénat. On donne pour acquis que la Chambre des députés reproposera la version originelle. La CGT semble plus décidée qu'en 2010 à obtenir le retrait de la réforme. Il faut dire que le gouvernement s'est montré intraitable et l'a exclue des négociations qui ont précédé la rédaction du texte. Mais c'est un fait que la base de la CGT s'est plus fortement mobilisée que sur la réforme des retraites. Ce qui s'explique d’une part par l'attaque que représente effectivement pour elle l'inversion de la hiérarchie des normes, puisqu'elle perdrait en influence dans des négociations au niveau de l'entreprise (où la CFDT est particulièrement active), mais aussi par la transformation qui s'est opérée ces dernières années en son sein. Autrefois le PC contrôlait étroitement la CGT; celle d’aujourd'hui est devenue une espèce de fédération de groupuscules, qui s'autonomisent dans l'action comme dans les prises de position, ce qui rend plus difficile le contrôle par le sommet de l'ensemble de l'organisation et qui encourage les pulsions centrifuges.
La proposition faite par la CGT et FO d’une « votation citoyenne », présentée comme un moyen d'engager dans la lutte une population censée « ne pas pouvoir » se mettre en grève, ne fait que déplacer le terrain de l’affrontement de la grève et de la rue – où il reste favorable au mouvement – aux urnes, où les choses sont bien plus contrôlables. Au matin du 28 juin, les médias annoncent le succès de la "votation citoyenne" : elle aurait recueilli 800.000 voix, dont 92% hostiles au projet gouvernemental. Au regard du 1,3 million de signatures recueillies par la pétition, c’est un succès très relatif.
Du côté du pouvoir, il n’est pas exclu que l’intransigeance faiblisse, étant donné la fracture qui s’est ouverte entre le gouvernement et une bonne partie de sa base électorale. Plusieurs élus et responsables gouvernementaux commencent à craindre les effets nuisibles du raidissement, notamment à l'approche de l’élection présidentielle, prévue pour avril 2017. Les cafouillages et les contradictions se multiplient, laissant entrevoir une recherche désespérée d’une issue qui leur permette de sauver la face. De nombreux responsables socialistes semblent avoir abandonné l'idée d'une victoire à la prochaine élection présidentielle et considèrent qu'à ce stade il n'y a plus rien à perdre. Un point de vue de ce genre qui, paradoxalement, pourrait contribuer à renforcer l'intransigeance du gouvernement. D'où la multiplication des discours contradictoires. Un constat s'impose cependant sur le fond: le mouvement n'a pas réussi à dépasser la base syndicale protestataire "classique" en impliquant la grande masse des salariés. Si 75% des Français restent opposés – sondage après sondage – au projet de loi et à la façon dont le gouvernement cherche à l'imposer, les travailleurs n'ont pas trouvé suffisamment de courage, d'énergie, de colère, pour se mettre en grève et descendre dans la rue massivement.
Les manifestations de rue font l'objet d’une bataille de chiffres entre la CGT, qui surestime le nombre des participants, et la police, qui le sous-estime systématiquement (la réalité se trouve en général à mi-chemin). Mais c'est plutôt à la composition des manifestations qu'il faut s'attacher. Avec l'avancée du mouvement, deux évolutions sont à signaler :
– A partir de la mi-mars, les manifestations, à l’exception de celle du 31, voient une faible participation syndicale : des cortèges assez squelettiques autour des ballons, formés sans doute essentiellement de membres de l'appareil et de retraités, suivent une tête de manif composée de jeunes, syndiqués ou pas, de plus en plus nombreuse et déterminée. A l’intérieur de celle-ci évoluent des groupes outillés pour l’affrontement avec la police, plus ou moins soutenus par le plus grand nombre et qui, lorsque la police commence à vouloir utiliser le service d’ordre CGT-FO comme supplétif – finissent par s’affronter à lui. La pression des manifestants et les vidéos de l'affrontement qui circulent sur Internet mettent rapidement fin à cette collaboration trop voyante.
– La manif du 26 mai marque un nouveau tournant : si le secteur de tête persiste, les trois quarts de la manifestation sont désormais composés par les troupes de la CGT, qui a battu le rappel de ses délégués de base dans les entreprises et la fonction publique. Les cortèges FO et Solidaires, bien que consistants, sont beaucoup plus faibles. La FSU, elle, est à peine visible.
Le cortège de tête, autonome des organisations syndicales, vivace, composé de personnes plus combatives et curieuses, de lycéens et d'étudiants, de militants syndicaux, associatifs ou nuit-de-boutistes, d'autonomes et de libertaires, etc., représente une nouveauté par rapport aux mouvements des trente dernières années, où la tête des manifs était jalousement accaparée par les syndicats et spécialement par la CGT. La présence de ce cortège autonome rend visible un changement du climat social et des rapports de forces au sein du mouvement. Elle transforme aussi le style des manifestations, ses membres faisant le choix de ne pas reculer devant l'affrontement avec la police. Mais la présence parmi lui de petits groupes exercés à l'affrontement mais peu regardants sur les risques qu'ils font courir aux autres, pratiquant le bris de vitrines (de banques, d'assurances, de grands magasins, de publicités) en fin de manif comme une forme d'insurrectionnalisme, permet surtout au pouvoir, via les grands médias qui le servent, de traiter les manifestations avant tout comme un problème d'ordre public.
C'est d'ailleurs ce à quoi il est réduit, faute de pouvoir offrir une réponse politique qui désamorce le conflit. Ayant (tout comme les syndicats) bien du mal à gérer la situation, le gouvernement cherche à attribuer à la CGT la responsabilité de l'existence de ce cortège imprévisible et incontrôlable. La manifestation du 14 juin, que la CGT conçoit comme une épreuve de force avec le gouvernement mais aussi avec le mouvement sur lequel elle veut affirmer son emprise, devient l'occasion d'une véritable manipulation politico-médiatique: le bris d'une vitre de l'hôpital Necker (où était hospitalisé le fils d'un couple de policiers assassinés par un djihadiste, ce que seul le gouvernement savait) est démesurément amplifié pour en faire le symbole de l'irresponsabilité des "casseurs" et obliger la CGT à s'en démarquer. La manifestation successive (le 23 juin) est dans un premier temps interdite. Les médias rappellent que le dernier cas d'interdiction de manif syndicale remonte au 8 février 1962, en pleine d'Algérie, et s'était conclu par le massacre de Charonne (8 morts). Ce rappel, assez pénible pour un gouvernement qui se prétend de gauche, l'amène à autoriser finalement la manif, mais sous étroite surveillance policière, avec plusieurs fouilles imposées à ceux qui cherchent à rejoindre le lieu de départ. Le soir, les médias prétendent que les incidents des manifestations précédentes ont été évités (pourtant le siège de la CFDT a été attaqué par quelques centaines de manifestants énervés), et n'évoquent même pas les quelques autres manifs non autorisées qui se déroulent en même temps. Le gouvernement obtient toutefois un résultat avec la disparition du cortège de tête et un retour à l'aspect traditionnel des manifs syndicales.
Le 28 juin, la manif est autorisée, mais les fouilles à l'entrée du lieu de rassemblement reprennent. De surcroît, la Bourse du travail, où se tenait une AG touffue de militants de différents secteurs sociaux, est encerclée par la police, qui les empêche de rejoindre la manif – pour trouver un précédent, il faut remonter encore plus loin dans le temps... Mais, sympathique surprise, malgré le filtre de la police, le cortège de tête est réapparu (et casse son lot de vitrines le long du parcours).
La répression du mouvement est pesante : en seulement trois mois, 1900 personnes ont été arrêtées, dont plus d'une centaine ont été ensuite jugées en comparution immédiate et condamnées. On ne compte plus les interventions de la police, qui expérimente de nouvelles techniques d'action contre les manifestants. Des techniques non pas de contrôle de la situation, mais plutôt de provocation organisée : les manifs sont encadrées par les flics, bloquées à plusieurs reprises, coupées en tronçons, ce qui a pour effet de rapprocher manifestants pacifiques et manifestants organisés pour l'affrontement dans une même exaspération.
La gestion de l'ordre public semble s'éloigner de celle que l'on observe en tendance au niveau européen, et, parmi les spécialistes de la répression eux-mêmes, plusieurs voix critiquent les modes d'action policière pratiqués en France.6 Mais ceux-ci s'expliquent si l'on considère qu'il s'agit d'un message politique adressé par le gouvernement au mouvement dans la rue, où la force de répression va jusqu’à dépasser celle auparavant déployée par la droite.
La répression a cependant un effet qui n'a sans doute pas été recherché par ceux qui la mettent en œuvre : plus besoin de convaincre la jeune génération, pour qui ce mouvement représente un premier moment de prise de conscience et de socialisation politique, que l'Etat est avant tout une bande d'hommes armés prétendant au monopole de la violence légitime : elle fait l'expérience directe de la brutalité de la police et de ceux qui lui donnent ses ordres. Si à l'époque de la COP 21 et aux débuts de Nuit debout on pouvait parfois entendre crier "La police avec nous!", on ne court plus ce risque aujourd'hui...
Comme dans tout mouvement véritable, les motivations des différents secteurs qui le composent sont diverses et parfois contradictoires. Mais le gouvernement se charge de concentrer sur lui les tensions accumulées et de fédérer les mécontements. Les mesures gouvernementales régressives de ces dernières années n'ont pas été oubliées, et la mémoire est longue dans les secteurs qui ont pris part à la lutte.
Pris dans son ensemble, ce mouvement représente donc quelque chose de plus important que la simple lutte contre la loi travail, contre l'état d'urgence, contre les violences policières ou pour l'occupation de places. Il met en lumière la fracture entre l'Etat et la population, et notamment entre la gauche de gouvernement et la fraction de la société censée la soutenir – ce que confirme la multiplication sensible des discours critiques envers la fiction de démocratie qu'est devenu le système « représentatif ». Cela fait suite aux nombreuses défaites électorales du PS depuis deux ans (municipales, départementales, régionales) et risque de les amplifier à l'avenir, quel que soit le sort final de la loi travail.
G. Soriano et Nicole Thé. Paris, le 28 juin 2016
Ce texte a été écrit, à la demande de camarades italiens et allemands, au fur et à mesure que le mouvement se développait, et à partir d'éléments d'information et de réflexion venant peu à peu s'ajouter. D'où d'inévitables répétitions, redondances, voire contradictions. Nous espérons réussir à écrire plus tard un autre article de synthèse et de bilan.
[1] Les vidéos montrant les violences policières de novembre et décembre sur la place de la République ne laissent pas de place au doute.
[2] Même La Parole errante, à Montreuil, est menacée désormais, et rien ne dit que les initiatives prises par le regroupement visant à la préserver du destin subi par d'autres lieux militants aboutiront.
[3] https://gazettedebout.org/2016/05/17/qui-sont-les-nuitdeboutistes-enfin-une-etude-serieuse/#more-7821
[4] On notera d'ailleurs l'effacement progressif du rôle des personnalités ayant contribué à l'impulsion du mouvement, comme Ruffin et Lordon (leurs conceptions de la mobilisation, fondamentalement imprégnées de l'idée léniniste selon laquelle les mobilisations se conçoivent et s'organisent en comité restreint éclairé, ne s'avèrent plus vraiment en phase avec la sensibilité et la volonté des acteurs de Nuit debout, qui, eux, tiennent, convaincus du bien-fondé et de la solidité de leur mouvement).
[5] Un peu comme lorsqu'il a cherché à inscrire dans la Constitution la déchéance de nationalité française pour les terroristes à double nationalité, essuyant un échec retentissant.
[6] Voir Olivier Fillieule et Fabien Jobard, « Un splendide isolement. Les politiques françaises du maintien de l'ordre » (http://www.laviedesidees.fr/Un-splendide-isolement.html#nh10) et Joseph Confraveux, « Le pouvoir politique est affaibli face au pouvoir policier », (https://www.mediapart.fr/journal/france/210616/le-pouvoir-politique-est-affaibli-face-au-pouvoir-policier?onglet=full).