Pourquoi sommes–nous intéressés par les élections ? Lors des dernières élections au Bundestag, il y a encore eu des calculs pour trouver une « majorité à gauche » (pour la énième fois, le SPD et les Verts sont comptés comme « à gauche »). Cette fois-ci, la majorité a été clairement à droite. Que s’est–il passé ? « Le marché radical Lucke-AfD1, qui, en 2015, a été dissout par Gauland, Höcke, Meuthen et Petry,2 est de retour, bien que sous un nom différent : le FDP. Si vous ajoutez ses voix à celles de l’AfD, le résultat est – avec les personnes ayant le même esprit dans la CSU/CDU – une politique économique et sociale renforcée à droite » a écrit Georg Fülberth3 dans la junge welt du 26/09/2017.4
La « normalisation » se poursuit – pendant longtemps l’Allemagne fut une anomalie en Europe : le seul Parlement sans un parti extrémiste de droite. À l’élection du Bundestag du 24 septembre, l’AfD, avec 12,6 %, est devenu le troisième parti, le deuxième à l’Est, et le premier en Saxe (0,1 % de plus que la CDU). Il obtient 94 sièges dans un Parlement gonflé à 709 sièges. Pour la première fois depuis 1961, un parti nationaliste-Völkisch5 a été admis en tant que groupe parlementaire au Bundestag – et est maintenant vigoureusement choyé par l’État : 16 millions d’euros par an pour la présence au Parlement ; plus quelques millions d’euros de financement étatique pour les partis ; plus une partie des 450 millions d’euros que l’État rend disponible annuellement aux fondations des partis présents au Bundestag – les dons vont maintenant couler à flots ... Il y a ensuite des emplois bien dotés en dehors du Parlement, par exemple dans les conseils d’administration.
Le SPD, la CDU et la CSU, en Bavière, ont tous atteint leur plus mauvais résultat électoral au Bundestag depuis 1949,6 ainsi la CDU a perdu 8,6 %. Le taux de participation a légèrement augmenté, ce qui représente un peu moins de 25 % d’abstentionnistes, mais encore le deuxième parti.
L’AfD a gagné environ 1,2 million de voix des abstentionnistes, un peu plus d’un million de voix de la CDU, 0,5 million de voix du SPD, et 400 000 électeurs du PDS. Le FDP a gagné 1,3 million de voix de la CDU et 700 000 d’abstentionnistes, il y a donc plus d’électeurs de la CDU qui sont allés au FDP qu’à l’AfD.
Pendant des années, la loyauté des vieux aux anciens partis populaires a sauvé le système (ce n’est pas différent en France ou en Italie). Cette fois-ci encore, les électeurs plus âgés, et, plus particulièrement, les femmes ont veillé à ce que Merkel soit probablement, pour la quatrième fois, chancelier de l’Allemagne. Mais même ce bastion s’effondre : les électeurs de 60-plus ans ont voté à 41 % pour la CDU/CSU – mais c’est 8 % de moins que la dernière fois ; les femmes ont voté à 47 % pour la CDU/CSU ce qui représente 6 % de moins.
Bien que la CSU ait gagné toutes les circonscriptions en Bavière, elle est néanmoins la véritable perdante, parce qu’elle est dans un étau stratégique. Sa stratégie de dramatiser les thèmes de l’AfD n’a pas fonctionné. Non seulement, l’AfD a recueilli, en Bavière, ses meilleurs résultats des Länder occidentaux, mais encore la CSU y a essuyé la plus grosse perte passant de 49,3 à 38,8 %. Structurellement, le même phénomène a eu lieu en Saxe et en Bade–Wurtemberg. En Saxe, depuis la chute du mur, la Fédération régionale de la CDU plus à droite a été continuellement au gouvernement ; lors de l’élection au Bundestag, l’AfD est devenu le parti le plus fort en Haute–Lusace avec entre 40 et 46 %,7 la CDU chutant de 42,6 à 26,9 pour cent. En Bade-Wurtemberg, la CDU perd 11,3 % et tombe à 34,4 % ; ici aussi, le parti a suivi la trajectoire de son président local Thomas Strobl « expulsions plus rapides, plus cohérentes et plus nombreuses ». La CDU a perdu principalement chez « les hommes salariés moyens », et 21 % des travailleurs ont choisi l’AfD (à supposer que beaucoup d’entre eux sont des Allemands d’origine russe déçus de la CDU ; voir ci–dessous).
Néanmoins, Merkel a déclaré le lendemain de l’élection que ce sont « les défis posés par les immigrants illégaux, les problèmes dans les zones rurales et les points sociaux brûlants non résolus » qui en ont conduit certains à voter pour l’AfD. Mais, elle a ajouté : « je ne peux pas voir que nous devons faire quelque chose différemment maintenant.» Et la CSU reste à l’offensive sur plus de la même politique. Le lendemain de l’élection, Horst Seehofer a déclaré : « nous avons un flanc droit ouvert, nous devons le fermer. » Seehofer veut la limite supérieure (Obergrenze). Ainsi, la CSU se trouve stratégiquement dans le piège. La CDU/CSU peine face au changement social et ne veut pas être le parti du seul pays profond.8 La CDU essaie d’attirer les universitaires jeunes, urbains, tendance. Mais avec des thèmes comme « le mariage pour tous », elle perd sa clientèle traditionnelle (voir ci–dessus, la grande importance des électeurs plus âgés et les pertes élevées ici aussi) dont beaucoup disent qu’ils choisissent l’AfD parce qu’aujourd’hui elle représente tout ça qui était la CDU – et ce n’est pas fictif.9 Ainsi, la « lutte contre l’immigration » reste la seule contribution à la réassurance culturelle de la CDU. Mais il est impossible d’imposer l’expulsion massive pour de nombreux problèmes (juridiques, politiques et sociaux). D’une part l’AfD, comme parti de protestation, peut apparaître beaucoup plus dur et, d’autre part, contrer les tentatives de modernisation culturelle avec moyens bon marché de propagande contre la culture du « Politiquement correct » et alors prendre en tenaille la CDU/CSU.
Depuis le tournant stratégique de la social–démocratie, il y a 20 ans,9 de s'éloigner du traditionnel « milieu du travail » pour embrasser la « classe globale » (Ralf Dahrendorf11), le SPD a perdu la moitié de ses voix. Il est étonnant de constater avec quelle obstination, il a suivi le cours pris par Schroeder (lois Hartz, déréglementation de l’industrie financière, privatisations). Après la nomination de Schulz comme candidat à la chancellerie, il y avait l’espoir d’un retour aux positions social-démocrates, qui ont entraîné de nombreuses adhésions et des résultats de sondage d’après lesquels le SPD aurait maintenant remporté l’élection. Mais le bureaucrate de l’UE, Schulz, est resté sur l’« Agenda 2010 ».12 Le SPD a encore déclaré le soir de l’élection qu’il allait dans l’opposition. Et cette annonce, a redéclenché de l’euphorie et des adhésions. L’espérance meurt en dernier à la base du SPD ; mais il est impossible que ce parti puisse une fois de plus chevaucher le tigre du réformisme ouvrier.
L’AfD a relativement peu de membres (à l’été 2017, environ 28 000), mais beaucoup d’électeurs. Ceux-ci votent pour ce parti principalement par frustration contre les autres partis qu’ils considèrent comme trop semblables (ce qui est vrai suite au tournant stratégique du SPD et à la soi-disant social-démocratisation de la CDU sous Merkel.)
Bien que l’AfD gagne des voix avec sa dénonciation de « ceux d’en haut », des « élites », c'est encore plus vrai pour l’AfD : les membres sont de bons citoyens installés et des entrepreneurs, les électeurs sont des travailleurs et des chômeurs – le taux d’approbation le plus élevé se trouve parmi les électeurs qui ont terminé leurs études secondaires.
L’idéologie ne joue pas un grand rôle parmi les électeurs de l’AfD et ils n’ont pas un lien fort avec le parti : seulement un électeur sur quatre, qui a voté pour l’AfD en 2013, a encore voté pour eux dans cette élection au Bundestag. Cette fois-ci, 20 % a choisi la CDU/CSU, 10 % le SPD, 6 %, le PDS13, 3 % le FDP. L’AfD a été en mesure de faire ses choux gras de la haine généralisée à l’encontre de Merkel. Son style politique est effectivement une grande part du succès de l’AfD : leur proclamée « absence d’alternative » interrompue par des virages brusques (sortie du nucléaire, ouverture des frontières, mariage pour tous, etc.), la dépolitisation que Kohl avait déjà entreprise ...
Si le SPD reste sur sa décision d’aller à l’opposition, après l’élection au Landtag en Basse–Saxe, à la mi–octobre 2017, il ne reste que la « Jamaïque » (coalition de la CDU/CSU/FDP/verts : 393 sièges sur 709), le gouvernement minoritaire ou la réélection. Les capitalistes s’inquiètent : l’AfD est « contre ce qui rend fort l’Allemagne » (ce qui signifie : l’industrie d’exportation et le libre–échange). Ils veulent la Jamaïque rapidement. Le chef du BDI (Bundesverband der Deutschen Industrie – confédération de l’industrie) appelle à la rapidité de la formation d’un « gouvernement fédéral viable ». La réélection signifierait le « chaos »14; la RFA serait « la dernière garante de la stabilité » dans un monde chaotique. Les marchés boursiers se briseraient, les investisseurs repartiraient d’Allemagne si un gouvernement n’était pas formé rapidement. Mais la Jamaïque se fait attendre ; la CDU et la CSU sont si dévastées par leurs faibles résultats électoraux qu’elles ne veulent pas participer à des discussions préliminaires avant la mi–octobre. Le nouveau gouvernement ne serait donc pas en mesure de travailler avant janvier 2018. Ces jours–ci, on discute beaucoup de la façon dont les déclarations électorales opposées du FDP, des Verts et de la CDU/CSU sur des questions telles que la protection du climat, le droit d’asile, l’immigration, etc. doivent être mises sous le boisseau. Mais on oublie que la coalition jamaïcaine se forme dans l’attaque contre la classe ouvrière (retraite à 72 ans, politique énergétique, privatisation d’autres domaines, restructuration de l’industrie automobile,15 etc.) – Les autres bagatelles peuvent être réglées. Les Verts sacrifient les derniers restes de la gauche, Winfried Kretschmann (le vert premier ministre du Bade-Wurtemberg) mise tout sur cette carte.
La Jamaïque serait également la fin des réformes de l’UE envisagées par Macron16 et Juncker. Macron aurait dit avant les élections au Bundestag : « si Merkel s’allie avec les libéraux, alors je suis mort. » Christian Lindner (président fédéral du FDP) a réitéré lors de la soirée des élections qu’il n’y aurait pas d’approfondissement de l’union monétaire. S’il devait devenir ministre des finances, alors on désirait Schäuble à retourner. (La bourse grecque a chuté depuis les résultats de l’élection.)
De plus, les compromis nécessaires à une coalition jamaïcaine entraîneront un accroissement des dilemmes de la CSU.
La montée de l’AfD commence avec la crise de l’euro/le renflouement des banques. Elle croît avec Pegida17 et se consolide avec les résultats électoraux à deux chiffres depuis la crise des réfugiés. Le mélange de la frustration sociale (après sept ans de reprise économique, les salaires et les conditions des deux tiers de la population à peine améliorés) et des craintes de perte culturelle décuplent son potentiel de mobilisation.
Le slogan « la paix (avec la Russie) » s’ajoute à cela, ce qui est à peine rapporté dans les médias. Interrogés sur la question la plus importante pour leur choix de vote, lors des élections au Landtag du Mecklembourg–Poméranie, 52 % des électeurs de l’AfD ont répondu « les réfugiés » ; 46 % « l’injustice sociale ». De nombreuses enquêtes, il ressort qu’environ un quart des votants le font par conviction, les autres protestent et les électeurs déçus changent de vote.
Il y a des gens qui ne peuvent pas se sauver des partis qui veulent représenter leurs intérêts. Les Verts, le SPD, la CDU, le FDP et récemment aussi le PDS18 proposent des offres les plus attractives pour un milieu urbain ayant suivi des études supérieures et les vertus qui leur sont associées : ouverture, multiculture, diversité. Mais, il y a au moins autant de personnes qui sans semestre universitaire d’échange, sans Tofu et sans Twitter qui vivent encore là où ils sont nés. Avec eux, l’AfD a rencontré le succès, auprès des « exclus », les oubliés de la mondialisation et du changement [après la chute du mur], ceux à la « périphérie » (la soi-disant « faiblesse structurelle » dans la région de la Ruhr et dans l’Est). Dans les cités de l’Allemagne de l’Ouest, par exemple à Cologne et dans la région de la Ruhr, l’AfD arrive juste après les abstentionnistes et le SPD. Par rapport à la dernière élection du Bundestag, l’électorat de l’AfD a beaucoup changé – il y a quatre ans, elle a reçu des voix tant de gens à hauts revenus qu’à bas revenus –, cette fois elle a touché le second groupe en particulier et a pu gagner dans les circonscriptions avec les taux de chômage les plus élevés.
Les Allemands de Russie constituent 3 % de l’électorat de l’Allemagne, mais ils représentent une partie importante du conglomérat électoral de l’AfD. Déjà aux élections des Landtage à Berlin, en Rhénanie du Nord-Westphalie et en Bade-Wurtemberg, l’AfD s’était implantée où en particulier vivent beaucoup d’Allemands de Russie, obtenant jusqu’à 40 % des voix. Aux dernières élections au Bundestag, l’AfD, par exemple, a obtenu dans un quartier de Pforzheim (BW) où vivent presque exclusivement des Allemands de Russie, 36 % des voix.
Dans l’ensemble du résultat des élections, l’AfD, dans les deux « tranches d’âge » du milieu (de 30 à 44 ans et de 45 à 59 ans) a obtenu 16 et 15 % des votes, donc au–dessus de sa moyenne nationale. Dans les groupes professionnels, elle a, avec 19 % chez les ouvriers, un de ses meilleurs résultats (seul le SPD fait légèrement mieux). Au niveau national, 15 % des syndiqués ont voté AfD en Allemagne – également au-dessus de la moyenne. À l’Est, 24 % des syndiqués ont voté CDU, 22 % le PDS, 18 % le SPD et même 22 % l’AfD.19 La même structure figurait déjà dans les précédentes élections aux Landtage : l’AfD est particulièrement forte parmi les plus de 35 millions d’électeurs qui ont entre 30 et 60 ans. Ceux-ci représentent 70 % des actifs et créent 82 % du revenu imposable. L’industrie de l’assurance réalise régulièrement des études à grande échelle autour de ces tranches d’âge. Selon la dernière enquête, 70 % des personnes interrogées de 30 à 59 ans pensent qu’il existe un écart croissant entre les revenus et la richesse, les deux tiers (64 %) que la répartition des revenus et de la richesse en Allemagne est injuste. Sous le concept de justice sociale, 83 % comprennent des possibilités d’éducation égales, 81 % l’égalité d’accès aux bons soins de santé, 86 % que tout le monde peut aussi vivre de la rémunération de son travail et 76 % que « à travail égal, salaire égal ». Toutefois, les deux dernières exigences ne sont pas considérées comme réalisées en Allemagne par 14 et 10 % des interrogés. À l’avant-garde des options politiques pour plus de justice, se trouve « à travail égal, salaire égal » (72 %), l’abolition des échappatoires fiscales (72 %) et un salaire minimum plus élevé (48 %).
Le principe de performance est fermement ancré dans les valeurs de cette « génération du milieu ». Le rendement personnel (travail) devrait être la base du bien–être économique : qui travaille plus devrait également gagner plus (72 %) ; les chômeurs devraient recevoir beaucoup moins que les actifs (66 %) ; le montant des retraites devrait être basé sur le salaire le plus haut (52 %).
« Le principe de performance a un niveau élevé d’approbation dans toutes les sections de la population, en particulier dans les strates inférieures, il est exigé que la performance soit reconnue. Mais qu’est–ce que la performance et qui en sont les fournisseurs, ceci est fortement controversé entre les couches individuelles. Les gens en dessous de la moyenne disent que les fournisseurs de performances sont les employés qui travaillent à la chaîne de montage ou derrière le comptoir, mais pas les gestionnaires. » (Patrick Sachweh, sociologue, dans une interview au Süddeutsche Zeitung).11
Le principe de performance a toujours été une partie ambivalente de la « conscience de la classe ouvrière ». Il est utilisé pour délimiter vers le haut mais aussi vers le bas. Avec un grand succès, les partis comme le Front National ou l’AfD peuvent y associer la « délimitation vers le bas » par l’« ethnicisation » (« nous devons travailler dur et les réfugiés nous bouffent la laine sur le dos »).
Le sociologue Klaus Dörre voit aussi la justice sociale, à côté de la question des réfugiés, le motif le plus important pour le choix de l’AfD. Au début de ses recherches, il trouvait que l’ouvrier, plus que l’employé, et les syndiqués plus que d’autres, inclinaient pour l’AfD. Il explique cela ainsi : « plus désespérée semble la perspective de changer les relations de distribution injustes, et de corriger la situation de haut en bas et du fort au faible par la redistribution démocratique le plus celui qui dépend du salaire va incliner spontanément vers une solidarité exclusive. Ce qui eux rend réceptifs aux appels populistes de la droite. »21
Dans l’ensemble de l’Allemagne, les hommes votent presque deux fois plus souvent pour l’AfD que les femmes (16 contre 9 %), parmi les hommes de la Ex-DDR, l’AfD avec 26 % des voix est le premier parti. Par rapport à l’Ouest, l’Est est marqué par l’éloignement des institutions, un scepticisme envers les partis politiques et les politiciens, et un degré beaucoup plus faible d’organisation dans les associations, les clubs, les églises. Les résultats des élections y sont plus volatils. Dans tout l’Est, cette fois, près de 22 % ont voté pour l’AfD. Le PDS a perdu et a glissé à la troisième place avec 16,2 %. Il y a quatre ans, le PDS faisait 22,7 %, l’AfD 5,9 %.
De même que l’homme blanc en colère dans les Appalaches l’est pour Donald Trump, le Ossi22 en colère dans les monts métallifères (Erzgebirge) représentent un groupe d’électeurs important pour l’AfD. Beaucoup d’hommes, dans les groupes plus âgés, qui ont connu le plein emploi en RDA, ont à la fois perdu leurs emplois après la chute du Mur et sont les véritables perdants du tournant. Leurs compétences ne valent plus rien sur le marché du travail d’aujourd’hui, ils sont sans emploi et sans femme (cette partie de la Ex-RDA a la proportion de femmes la plus basse de toute l’Europe). L’homme est en crise, surtout à l’Est. La désindustrialisation a frappé les hommes particulièrement durement parce que le travail industriel, aussi dans l’Est, était surtout masculin. Mais surtout parce qu’ils ont plus des problèmes de gérer la perte de leur emploi que les femmes. Beaucoup de femmes émigrent vers l’Ouest, d’autres réussissent à se qualifier et obtenir un nouveau travail mieux rémunéré. La majorité des hommes a glissé dans des emplois peu qualifiés ou dans le chômage permanent. Le taux de chômage est plus élevé pour les hommes que pour les femmes. En Saxe-Anhalt, les femmes gagnent maintenant plus que les hommes en moyenne. Cela ronge la compréhension de soi quand l’homme a de lui-même l’image du « soutien de famille ».
Les inquiétudes ont décidé du choix ; dans « la sécurité intérieure, l’intégration et la cohésion sociale », l’AfD a particulièrement polarisé les choix. La peur d’une descente sociale et d’une perte d’identité culturelle (mélange du « trop de musulmans », du mariage pour tous, à l’élimination du nucléaire). La protestation est principalement dirigée contre les inégalités sociales croissantes et la montée des élites. De tels électeurs protestataires sont volatiles, le PDS a, par rapport à la dernière élection au Bundestag, perdu 400 000 électeurs passés à l’AfD.
Opinions | % |
---|---|
A mieux compris que les autres qu’on ne se sent plus en sécurité avec trop de gens | 99 |
Trouve bien que l’Afd veut réduire l’influence de l’Islam en Allemagne | 99 |
Trouve bien que l’Afd veut contrôler plus fortement l’afflux de réfugiés | 96 |
C’est le seul parti avec lequel je peux exprimer ma protestation | 85 |
L’Afd ne se distance pas assez des positions d’extrême-droite | 55 |
Sources : ARD, Infratest dimap
L’attention pour l’AfD dans les médias allemands et la focalisation des autres partis sur ses thèmes ont rendu son succès possible. Dans les mois précédant les élections au Bundestag, les médias étaient remplis de sujets de l’AfD : les réfugiés, « la criminalité des étrangers », la Turquie et la sécurité intérieure. Le point culminant négatif a été le soi-disant duel pour la chancellerie entre Merkel et Schulz. Nico Siegel de l’Infratest dimap (Institut d’enquêtes et d’études politiques) a attesté que les médias et les partis avait suivi un « ordre du jour aligné sur l’AfD ». Tous les instituts d’enquête sont d’accord pour dire que la question des réfugiés ayant dominé la phase finale de la campagne électorale, l’AfD a obtenu un résultat électoral à deux chiffres. « Le fait que tous les partis ont travaillé sur l’AfD, a fait que celui-ci a eu une signification particulière, qu’il n’avait pas dans les mois précédents », déclare Renate Körcher, chercheuse à l’institut Allensbach. Sans s’en rendre compte, elle tourne l’argument, loin des médias et pointe la responsabilité – justement! – sur les partis (voir CSU : leur stratégie de se présenter comme le meilleur AfD, a échoué avec fracas).
L’AfD unit plusieurs courants : critique (néolibérale) de l’euro, idéologie Völkisch-nationale-élitiste, haine des élites, xénophobie. Ces temps derniers, s’est ajoutée la défense de l’État–Providence pour les Allemands ; après une longue période d’aller–retour l’AfD, depuis le printemps 2016, par exemple, a également opté pour le salaire minimum, qu’elle avait initialement rejeté strictement. Ces courants sont parfois violemment contradictoires et ne peuvent être que dans une dynamique de la radicalisation constante pour rester ensemble. Dans la campagne électorale, l’AfD s’est de nouveau fortement développé à droite : « Umvolkung »23, être fier de « la performance des soldats allemands dans les deux guerres mondiales », les déclarations du pro–nazi Björn Höcke24 sur la culture de la mémoire, etc. La stratégie consistait à franchir les frontières de l’indicible (et donc d’intégrer les fascistes comme les identitaires) et de s’engager entièrement sur l’axe de la lutte contre l’immigration (au début, Alice Weidel25 a essayé de suivre la vieille ligne de Bernd Lucke – la critique de l’euro et la sortie de l’UE – qui n’a pas attiré et a été complètement abandonnée). La même dynamique qui maintient ensemble l’AfD conduit aussi des nouvelles mues. Le lendemain de l’élection la présidente du parti, Frauke Petry, s’est retirée du groupe au Bundestag ; dans le Landtag de Mecklembourg-Poméranie, quatre députés sont sortis de l’AfD. Auparavant, le groupe AfD au Landtag du Bade-Wurtemberg s’est scindé et plus tard s’est réuni de nouveau sans que le parti en souffre le moins du monde. Dans la plupart des cas, il s’agit d’une question de luttes de pouvoir internes ; en termes de contenu, c’est un différend sur la façon d’arriver au pouvoir : Höcke suggère le long et dur chemin du renversement nazi ; des gens plus intelligents, comme Petry, savent que ce chemin n’a jamais conduit à l’objectif et donc veulent la majorité parlementaire et la participation au gouvernement. Le même débat est mené avec beaucoup plus de force au sein du Front National en France.
En Allemagne les divisions sociales et culturelles de la société s’approfondissent depuis des années ; ce qui se traduit maintenant plus clairement par le résultat électoral. L’AfD est en partie un parti raciste et Völkisch ; en son sein sont aussi organisés des fascistes durs. Nous devons comprendre pourquoi le succès a eu lieu et quelle caisse de résonnance rencontre l’AfD. Le résultat électoral s'explique assez bien par des raisons « sociales » (chômeur, exclu ...) et culturelles (Allemands de Russie, crise de l’homme ...). La stratégie de l’AfD est de culturaliser les conflits sociaux (« guerre contre l’Islam » et « délire du genre ») ; notre stratégie doit être de veiller à ce que les conflits culturels soient dissous dans les conflits sociaux tout en les prenant au sérieux. La gauche doit rompre avec l’idée fausse que la défense de son propre mode de vie est en soi proto–fasciste ou raciste. Les inquiétudes de ces personnes peuvent aussi être abordées à partir d’un point de vue gauche. Nous devons également nous opposer à ceux qui s’expriment dans un sens fondamentaliste ou religieux. Dans l’ensemble, la société ne se déplace pas vers la droite, mais le discours politique, oui. L’AfD peut être si forte parce que la CSU et le SPD lui donnent leur légitimité – mais ce n’est pas un jeu cool des puissants, comme le pensait Jörg Nowak26 dans ak27, mais l’expression de leur crise et une partie de leur panique. Aucun des partis ne peut « résoudre » la crise des réfugiés.
Nous sommes face à une crise de la représentation parlementaire, une crise de la démocratie des partis. La « démocratie parlementaire représentative » est tout autant en crise que le système capitaliste qu’elle est censée « représenter ». Alors pensez–y ! Nous ne devons pas travailler sur les résultats électoraux et la démocratie des partis, mais développer de nouvelles formes, trouver des moyens d’organiser le changement social et les décisions communes, mais en allant au-delà des classes moyennes urbaines ! (comme à Gezi Park, ou les mouvements d’occupation des places…)
Pour nous, ce qui est important ce n’est pas l’AfD mais ses électeurs. Ils ne sont pas tous « fascistes ». La plupart ne sont pas plus à droite que quatre ou huit ans plus tôt quand ils votaient CDU, SPD ou PDS. « L’essor de l’AfD a probablement moins à voir avec le radicalisme de droite traditionnel que plutôt avec un processus général de désinhibition, la renonciation à l’État de droit et le respect des conventions. Il y a un nouveau plaisir ... à se vautrer dans l’interdit et les grossièretés. » (Thomas Schmid dans Die Welt, le 20/10/2016)28 Cependant, ce n’est pas un feu vert mais le contraire : même le fascisme italien a commencé comme « menefreghismo » (« je m’en foutisme »). L’indifférence cynique à tous et tout s'ètait developpée pendant la guerre et puis a gagné les légionnaires de D’Annunzio et les chemises noires.
Le 27 septembre, la porte–parole de l’IL (Interventionistische Linke – Gauche interventionniste)29 a donné une interview de la presse : « Les nazis devraient avoir peur. Nous allons chasser l’AfD. ... Mais pour que cela soit clair : nous, de l’IL, voulons des alliances larges. » Il y a eu des débats intenses dans Gauche extra–parlementaire, pour savoir si « de telles alliances » contre le fascisme devaient se conclure avec le SPD ou même la CDU. Et : « Nous avons organisé la plus grande manifestation à Hambourg depuis les années 1980. [De quoi parle–t–elle ?] Nos blocus ont été beaucoup plus de succès que la pensée, Melania Trump n’a pas pu quitter l’hôtel. [Chouette !] » « Les nazis ne disparaissent pas en les ignorant. C’est pourquoi nous commençons déjà à nous mobiliser pour la manifestation contre le congrès de l’AfD, le 2 décembre, à Hanovre ».30
Il est à craindre que, le 2 décembre, Hanovre va brûler – de façon peut–être plus enragée à cause d’un résultat électoral en Autriche. Avec une telle politique symbolique (rideaux de fumée sur Hambourg), on joue dans les mains des trublions de De Maizière31 à Höcke. Pourquoi peuvent–ils agir comme « gauche radicale » signataire seulement en revêtant des costumes historiques ? Nous ne sommes pas devant le « danger d’un nouveau 1933 ». Pourquoi remplacent–ils une analyse radicale par un enthousiasme pour les campagnes et les alliances ? La « gauche radicale » signataire est loin d’être assez radicale pour attirer quelqu’un qui en a plein les bottes de ce système. Avec tous leur trucs de campagne, ils ne se distinguent plus de Greenpeace. Avec leurs discours moralisateurs, ils font plus pour maintenir la cohésion de l’AfD qu’elle le ferait elle–même. (Quand on n’est pas pour le mariage pour tous, on n’a pas le droit d’en discuter ; quand on veut fermer les frontières, on est raciste, etc.)
Klaus Dörre termine l’article mentionné ci–dessus comme ceci : « Nous devons remettre la lutte de classes à l’ordre du jour. » Si nous ne « sortons pas le conflit et la dissidence dans les entreprises et le monde du travail » nous laissons le champ « au populisme de droite et son idéologie autoritaire. » À cette fin, la gauche radicale doit également arrêter de fonder sa désaffection de la classe ouvrière par antiracisme.
[1] Bernd Lucke, économiste, fondateur de l’AfD (Alternative für Deutschland – Alternative pour l’Allemagne) en février 2013. Il la quitte en juillet 2015, suite à l’élection de Frauke Petry à sa tête.
[2] Dirigeants de l’AfD plus à droite que Lucke.
[3] Professeur émérite de l'université de Marburg, militant du DKP.
[4] Voir : junge welt
[5] Le mot allemand « Völkisch » signifie plus que populaire mais il faudrait une périphrase pour rendre son sens complet en français. Voir : http://dictionnaire.sensagent.leparisien.fr/Mouvement%20v%C3%B6lkisch/fr-fr/.
[6] Aux premières élections au Bundestag, en 1949, la CDU/CSU a obtenu 31,0 %, le SPD 29,2 %, le FDP 11,9 % et le KPD 5,7 %.
[7] Voir : Der Tagesspiegel
[8] Lors des dernières élections municipales, en 2014, la CDU/CSU a perdu les villes de Berlin, Hambourg, Munich, Stuttgart, etc.
[9] Dans les années 1998/99, la CDU/CSU a organisé une campagne contre la réforme du droit de la nationalité que voulait faire le gouvernement SPD/Verts. Cette campagne était vue comme une collecte de signatures contre les immigrés. La campagne était lancée, entre autres, par Wolfgang Schäuble et âprement disputée dans les rues. Voir : wikipedia
[10] Tony Blair, Gerhard Schröder et autres Voir l'article dans Le Monde Diplomatique « L’enfer du miracle allemand » théorisaient « le troisième chemin ». Le gouvernement de Schröder a réalisé les différents plans de réforme dit « Agenda 2010 » en Allemagne (dont les réformes du marché du travail appelées Hartz, du nom du manager VW, chef de la commission pour la réforme) à partir de 2003. Voir l'article dans Le Monde Diplomatique « L’enfer du miracle allemand » Voir aussi "L'allemagne vue d'en bas" dans notre site.
[11] Ralf Dahlendorf (1929 – 2009) était un sociologue allemand devenu britannique, théoricien du « Conflit social », très influent dans le mouvement étudiant des années soixante.
[12] Voir note 10.
[13] Bien sûr, ce parti s’appelle, depuis 2007, « Die Linke » (La gauche), mais c’est trop de la prétention !
[15] Voir : Wildcat.aktuelles En anglais
[16] Voir : www.robert-schuman.eu
[17] Pegida (« Patriotische Europäer gegen die Islamisierung des Abendlandes » Patriotes Européens contre l’Islamisation de l’Occident) est un mouvement d’extrême-droite fondé en octobre 2014, à Dresde, qui s’est fait connaître par des manifestations de rue régulières en Allemagne, surtout à l’Est mais aussi dans d’autres pays. Il n'a pas réussi à s'étendre significativement au-delà de Dresde.
[18] L'électorat du PDS a également beaucoup changé : le PDS connaît une popularité croissante dans les milieux universitaires et urbains, mais a chuté dans ses bastions électoraux traditionnels des zones rurales et parmi les populations à bas revenus.
[19] Voir : www.dgb.de
[20] Voir : Süddeutsche Zeitung
[21] Fremde – Feinde; Der neue Rechtspopulismus deutet die soziale Frage in einen Verteilungskampf um. (« Étrangers – ennemis : Le nouveau populisme de droite interprète la question sociale comme une lutte de répartition ») Voir : junge welt
[22] Sobriquet des ex-habitants de l’Allemagne de l’Est (déformation d’Ost-Deutscher ; antonyme : Wessi)
[23] Les Nazis utilisaient le mot « Umvolkung » pour désigner le phénomène d’assimilation qu’avaient subi des populations allemandes au sein d’autres populations. L'AfD utilise le mot pour critiquer le multiculturalisme e le part montant des étrangers.
[24] Professeur de lycée, élu au Landtag de Thuringe, militant de l’AfD, représentant plus connu du courant « völkisch-nationaliste »; il représente grosso modo un tiers des encartés du parti. Voir : wikipedia
[25] Économiste et professeur à l’université de Bayreuth, elle codirige l’AfD depuis 2017.
[26] Universitaire en sciences politiques, à Kassel.
[27] Anciennement AK « ArbeiterKampf », aujourd'hui ak « analyse & kritik »
[28] « Die AfD ist das Symptom des „Vollpfosten“-Bürgertums » (L’AfD est le symptôme de la bourgeoisie « ouf ») Voir: Die Welt
[29] IL est un groupe gauchiste activiste, présent en Allemagne et en Autriche, qui court après tout ce qui bouge et participe à trop de manifestations. Fondé en 2005 avec l'intention déclarée d’alimenter le PDS avec des votants des social movements en échange que le PDS devienne antiraciste. Voir : www.interventionistische-linke.org:
[31] Thomas De Maizière, CDU, est l’actuel ministre fédéral de l’Intérieur. Homme des services de renseignements, trublion, relié avec toutes les saloperies après la chute du mur. Voir : wikipedia